CES 2019

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CES 2019
CES 2019 Las Vegas

Pour certains d’entres vous, le CES c’est LE rendez vous annuel.

Le CES de Las Vegas est la grande messe des aficionados de gadgets en tout genre, mais bien au delà de cet aspect purement « geek », c’est aussi l’annonce de la sortie sur le marché de ce que seront les appareils et autres électroniques grand public dans le courant de l’année, beaucoup de personnes attendent fiévreusement de savoir quels seront les technologies appliquées à notre futur immédiat pour prendre une décision d’achat éclairée.
Dont je fais parti.
Pour satisfaire notre curiosité et comme le veut la tradition depuis 7 ans, j’ai consulté Olivier Ezratty, spécialiste des grandes tendances high tech, un reporter assidu du CES depuis plusieurs années, ce qui lui a permis de se forger une solide réputation dans son domaine d’activité.
J’ai rencontré Olivier en 2010 au CES justement, où nous avions sympathisé; Olivier et moi partageons quelques passions communes, dont la photographie et la haute technologie, au delà de dire les choses comme elles sont et respecter le lecteur dans son intégrité.
Olivier a accepté de répondre à quelques questions sur son expérience au CES 2019. Je l’en remercie.
Mon cher Olivier, cette édition 2019 valait-elle le déplacement?
Même réponse que chaque année : oui, bien entendu.

Nagra VII, un enregistreur numérique à deux canaux
Nagra VII, un enregistreur numérique à deux canaux lancé en octobre 2018.

Quelles sont les grandes tendances du moment?
Les tendances macro sont toujours les mêmes. C’est dans le détail que cela évolue.

Qu’est-ce que toi tu as retenu de majeur dans chaque catégorie de produit?
Cette cuvée du CES 2019 voyait confirmer quelques évolutions :
Une omniprésence de l’intelligence artificielle qui est mise à toutes les sauces, surtout au niveau de la commande vocale, mais aussi d’autres usages, notamment pour la reconnaissance et le traitement d’images et du son, ou l’exploitation de données structurées diverses issues de capteurs. Elle se manifeste aussi dans les composants électroniques avec la vague du « edge AI » et le déport de traitements dans les objets connectés, dont l’un des bénéfices est de préserver un peu de notre vie privée.

Une mise en valeur des efforts technologiques des équipementiers et constructeurs automobiles pour améliorer l’expérience du conducteur et des passagers, et nous préparer graduellement à l’avènement des véhicules autonomes. Le niveau de réflexion de certains acteurs est très intéressant comme chez Audi ou Faurecia.

La poursuite des investissements des équipementiers télécoms pour préparer les déploiements de la 5G aussi bien pour des applications grand public que dans diverses industries.

Les constructeurs de TV qui mettent le paquet sur la 8K alors que la 4K n’est pas encore largement déployée. On peut se demander si cette course à l’échalote de la résolution et de la taille des écrans ne va pas un peu trop loin.

La santé et le bien être qui prennent encore plus de place qu’avant, notamment chez les exposants français dont c’est devenu le premier thème. On mesure tout, avec une recrudescence de capteurs d’électrocardiogrammes et de l’activité cérébrale. Les offres couvrent aussi bien les besoins des bébés que des seniors et toutes les variations entre les deux.

La thématique de la résilience promue par les organisateurs du salon. Regroupant au départ les moyens de s’adapter aux catastrophes naturelles, elle recouvre aussi dans la pratique divers thèmes comme la cybersécurité, la protection des données privées, les questions énergétiques, environnementales et sociétales. Même si elles étaient anecdotiques, il y avait quelques solutions de « digital detox » qui compensent la majorité des solutions du salon qui versent plus dans la « digital intox ».

Quelques progrès techniques dans le domaine de la réalité virtuelle ou augmentée, mais pas de quoi sauter au plafond. Par contre, les domaines d’applications se multiplient, notamment dans la santé.

L’émergence de quelques dizaines de startups exploitant une blockchain dans des domaines très variés. Cela dépasse maintenant le stade du signal faible.
Le reste est plutôt routinier : une maison connectée toujours aussi ennuyeuse et de plus en plus pilotée par la voix, des smartphones toujours plus puissants, des drones qui sont devenus des produits de commodité moins valorisés dans l’ensemble, de l’audio qui gravite toujours de plus en plus autour des mobiles et des laptops de plus en plus convertibles et puissants.

Quelle place occupe la hifi en 2019 et quels ont été les démonstrations phares qui ont retenu ton attention lors de ce CES?
L’audio fait plus parler de lui par la commande vocale que par la qualité du son pour écouter de la musique. Une boutade veut que pour rendre l’IA plus intelligente que les humains, il suffit de rendre ces derniers plus bêtes, ce que certains abus du numérique peuvent conduire à entraîner. C’est un peu la même chose dans la musique. La qualité à laquelle nombre d’utilisateurs s’habituent se dégrade dans la pratique. Elle rend difficile la promotion de l’audio de qualité avec le HiRes qui a vraiment du mal à décoller dans le grand public.

Il est ainsi assez incroyable qu’il soit supporté par les smartphones récents et que leurs constructeurs ne le mettent quasiment jamais en avant.

L’audio est cependant un type de contenu qui commence à bénéficier des apports de l’IA et des réseaux de neurones génératifs. Les constructeurs de TV utilisent ainsi l’IA pour affiner les réglages du son multicanal en fonction du contenu joué et de l’environnement.
L’audio au CES est le royaume des enceintes Bluetooth de tout poil, intégrant maintenant la commande vocale Amazon Alexa ou Google Assistant.

Sinon, l’audio haut de gamme continue de décliner au CES dans les étages du Venetian. Les exposants de la Hi-Fi qui occupaient trois étages il y a quelques années n’en occupaient plus qu’à peine un seul en 2019.

On pouvait cependant encore y admirer quelques amplificateurs, platines vinyles ou enceintes qui sont toujours aussi impressionnants par leur design, sans pour autant que la qualité de l’audio soit à la hauteur ou mérite les prix énormes qui sont liés, entre autre, au manque d’économies d’échelle de ces artisans de l’audio haut de gamme. Je me demande si ce n’était pas la dernière année de l’audio haut de gamme au CES.

Google « It’s a small world » Disneyland style.
Google avait un très grand stand en extérieur avec un parcours en train en étage pour découvrir les usages de son assistant dans la maison, façon « It’s a small world » de Disneyland.

Quelle est la place de la musique dématérialisée (serveur musical)?
Curieusement, elle ne varie pas. Le nombre de DACs et autres systèmes associés est compensé par la survivance des platines vinyles.

A noter la présentation par Sony d’un prototype de sa technologie « 360 Reality Audio » qui permet de mixer un son à 360° en MPEG-H qui peut ensuite être streamé et écouté sur tout type de haut-parleur ou de casque. C’est un son multicanal orienté objet utilisant 24 canaux. Il n’est pas évident d’en évaluer la valeur ajoutée comparativement à Dolby Atmos et DTX:X qui ont une fonctionnalité équivalente et sont également supportés par un grand nombre de systèmes de reproduction de l’audio. Il semblerait que la différentiation se situe dans la capacité de Sony à personnaliser le rendu audio en fonction de l’oreille de l’auditeur. Pour les systèmes qui lui sont dédiés comme des casques.

Sony présentait aussi au CES un prototype d’enceinte ominidirectionnelle intégrant plusieurs haut-parleurs et destinée à reproduire le format 360 Reality Audio (ci-contre).

Y-avait il de grands absents?
Deux tiers des exposants habituels de l’audio haut de gamme ne sont pas revenus en 2019. Cela fait beaucoup d’absents !

Qu’en est il de la 4K, 8K et plus?
Les grands constructeurs de TV tentent toujours d’appâter les visiteurs avec leurs TV de grands formats, avec la mise en valeur de records divers, dans la taille, la résolution, la dynamique ou la couleur. On continue de voir des améliorations incrémentales de ces caractéristiques chez Samsung et LG Electronics qui dominent l’innovation de ce marché que ce soit dans le LCD ou dans l’OLED.

LG Electronics présentait sa belle TV OLED enroulable qui va être commercialisée d’ici la mi-2019, même si son prix n’a pas été annoncé et risque d’être élevé.

La 4K et la 8K ont pour conséquence de tirer vers le haut la taille moyenne des TV achetées par le grand public. Il y a plus de 10 ans, une 55 pouces était un grand format. Maintenant, les foyers n’hésitent pas à aller jusqu’au format 65 si ce n’est au 75 pouces. Modulo l’espace disponible dans son logement.

La 4K est évidemment la reine du CES depuis des années. Il faut descendre en-dessous de 40 pouces pour trouver des TV Full HD et elles sont quasiment invisibles au CES. Mais presque tous les constructeurs sont à l’ouvrage pour « ringardiser » la 4K en poussant de plus en plus des TV 8K. Entre nous, cette résolution ne sert pas à grand-chose en-dessous de 65 pouces. Il faudrait même plutôt démarrer à 80 pouces !

Pour des raisons physiologiques liées à la limite de résolution de l’œil humain mais aussi du fait de l’absence de contenus. Très peu de films et séries sont d’ailleurs captés en 8K. On note Guardians of the Galaxy Vol 2, tourné avec une caméra RED Weapon et la série Lost in Space de Netflix.

Les films argentiques commencent aussi à être scannés en 8K puis restaurés. En attendant, on se contente du sempiternel upscaling des constructeurs de TV qui s’appuie sur une technique à base de deep learning qui me faisait douter en 2018 mais qui a un fondement technique traçable et qui fonctionne à peu près. Par contre, les écrans 8K pourront servir à présenter des œuvres ultra-réalistes dans des musées ou en imagerie médicale.

Au demeurant, l’adoption de TV 4K est toujours plus avancée que la diffusion de contenus à ce format. Comme nous l’avions vu l’année dernière, c’est surtout lié aux contraintes des diffuseurs plus quà celles des producteurs qui ont adopté la 4K depuis plusieurs années.
Comme en 2018, je suis frappé par l’absence quasi-totale de démonstrations de fonctions de TV connectées par les constructeurs qui se focalisent uniquement sur la taille des écrans et la qualité des images. L’interface est dominée par Android TV chez les constructeurs Chinois et du dernier Japonais du secteur qu’est Sony, et des interfaces propriétaires chez les coréens Samsung et LG Electronics.

C’est à la fois lié à la stabilité de ce domaine mais aussi au développement de la commande vocale qui relègue en arrière-plan l’interface graphique.

Byton ides LiDARs sur les côtés du véhicule pour voir en 3D
Byton intègre des LiDARs sur les côtés du véhicule pour mieux voir en 3D à courtes distances.

Et la robotique dans tout ça, je pense aussi à l’IA?
Ce CES 2019 a vu émerger une nouvelle tendance dont je n’avais pas entendu parler du CES 2018 : l’usage de l’IA pour améliorer le son. Les constructeurs de Smart TV ont intégré dans leurs TV des logiciels de deep learning qui optimisent la restitution du son en fonction de l’analyse du contenu et de la pièce. L’effet est probablement mineur côté perception utilisateur. Je n’ai pas pu le tester. Mais il n’y a pas de raison que ce domaine ne progresse pas, ne serait-ce que dans l’utilisation de réseaux de neurones profonds exploités pour de la recommandation fine de contenus. Stay tuned !
De son côté, la robotique progresse peu. On trouve à peu près les mêmes robots qu’il y a un à deux ans au CES.

Quels ont été tes coup de cœur?
Trois produits ou technologies qui ne sont pas du domaine de l’audio m’ont marqué. Je vais en citer deux.
Heatworks pour son chauffe-eau à base d’électrodes en graphène ayant une efficacité énergétique de 99%. A lui tout seul, ce dernier projet permettrait s’il était déployé à grande échelle de faire de très grandes économies d’énergie.

Opté de Procter & Gamble, un petit appareil qui scanne optiquement la peau et dépose de la crème uniquement sur les boutons détectés avec un système d’impression similaire à celui des imprimantes à jet d’encre, une combinaison unique en son genre. Cela évite aux femmes de mettre du fond de teint sur l’ensemble de visage, ce qui empêche la peau de respirer.

Les écrans MicroLED qui sont très prometteurs en termes de capacité. Ils ont notamment une meilleure efficacité énergétique que les OLED et les LCD. Cependant, en regardant de près la technologie, on se rend compte qu’elle n’est pas évidente à industrialiser à grande échelle.


Conclusion, quel bilan fais tu de ce CES 2019?
C’est un salon à tiroirs. Au premier niveau, on peut se laisser porter par les tendances classiques comme dans les véhicules autonomes, la réalité virtuelle et augmentée et les beaux écrans.

Mais en creusant, on se rend compte de sous-tendances importantes et parfois récentes, comme l’usage de l’IA dans l’audio, les applications dans la santé au niveau du suivi du cœur, la complexité technologique de la mise au point de véhicules autonomes, les prototypes de drones de passagers, les évolutions du Wi-Fi avec le ax, et la préparation à la 5G avec l’arrivée des premiers composants pour smartphones comme le chipset Quacomm Snapdragon 855 et le modem X50.

Si tu as autre chose à dire, je te laisse le soin de t’exprimer librement. Au plaisir de te lire.
Il y avait une volonté des organisateurs de faire de la « tech for good », autour du thème de la résilience. On sentait plus que d’habitude cette ambivalence de l’industrie qui est avant tout centrée sur les loisirs et le bien-être et qui cherche à équilibrer cela avec des solutions plus adaptées aux problèmes de notre temps, en particulier le réchauffement climatique et la pollution atmosphérique. Cet équilibre un peu bancal se retrouve aussi dans la prolifération de solutions à base d’intelligence artificielle et de vidéo surveillance et la quête d’une meilleure protection de la vie privée.

Contact et information

Olivier-Ezratty
Olivier Ezratty, Conseil en Stratégies de l’Innovation, spécialisé dans les médias numériques et la TV numérique. Auteur du blog « Opinions Libres » et du Rapport du CES depuis 2006.

Spécialiste des médias numériques, Olivier Ezratty conseille les entreprises des secteurs grand public high-tech et des médias pour l’élaboration de leurs stratégies d’innovation dans les dimensions marketing et technologiques.
Il intervient aussi bien auprès de grandes entreprises qu’auprès de startups et de fonds d’investissements.
Dans son blog Opinions Libres, il décode les mouvements des acteurs de l’industrie des médias numériques et de l’écosystème entrepreneurial .
En plus de son rapport annuel de visite du Consumer Electronics Show de Las Vegas depuis 2006, il y publie un Guide des Startups Hightech en France, qui en est à sa 20 ème édition.


La pensée du moment

« Un ami, c’est à la fois nous-mêmes et l’autre, l’autre en qui nous cherchons le meilleur de nous-même, mais également ce qui est meilleur que nous.» de Joseph Kessel (Romancier et journaliste français).


Cet article a été rédigé par Marc PHILIP et Olivier Ezratty , rédacteurs indépendants, tous droits réservés, copyright 2019, les textes et photos sont la propriété de l’auteur et du magazine.
Bonne journée et bon divertissement.

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