Michel Pascal et les musiques actuelles

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Michel Pascal Puzzle

J’ai découvert la musique contemporaine en même temps que l’album « Puzzle » de Michel Pascal.
Ce fut lors d’une écoute de musique sur le remarquable système hi-fi Canadien Integris 300B : Concept Aurum Acoustics-300b-integris.
Mon copain Gilles était venu pour l’occasion de Montréal avec ce disque sous le bras, un de ses amis français venait de le lui faire écouter, en me faisant remarquer à quel point il fallait s’ouvrir à ce type de musique et se laisser guider par les sons, plus que d’essayer de l’interpréter… du moins dans un premier temps.
Ce qui m’a conduit à m’entretenir avec l’auteur de ce disque, qui réside et travaille sur Marseille, département des Bouches du Rhône en France.

Je vous présente Michel Pascal.

 

Michel Pascal auteur compositeur

Bonjour Michel Pascal, pouvez vous présenter en quelques mots?

Comme compositeur je m’intéresse particulièrement à la jonction entre le champ des hauteurs et celui du timbre, entre le geste instrumental et le monde électroacoustique.

Quel est votre parcours professionnel?

« Passionné de recherche sonore dans cette frange où bruit et son sont indiscernables comme certains horizons marins pris au lever du jour »

Vu par un autre …

Jean Etienne Marie présentait ainsi Michel Pascal en 1984.
Ce compositeur français né en 1958 a investi une grande variété de répertoires : des musiques acousmatiques (Falaises et Emergences) , instrumentales, du solo à l’orchestre symphonique (Liens, Trois Ombres éphémères, Protos), vocales (Voiles), du live electronic (Etude 4), du théâtre musical (Icare ?), des installations interactives grand public (Centre Nausicaä de Boulogne/mer), des musiques d’applications pour l’audiovisuel (notamment pour le réalisateur aventurier Luc Henri Fage). Si son style peut ainsi varier considérablement selon les productions, il reste cependant fidèlement attentif à un raffinement de l’écriture entre note et son.
Un axe fondamental de son travail concerne la mutation des instruments par leur liaison aux nouvelles technologies.

Dans le domaine acousmatique, il en résulte des musiques essentiellement dépendantes du support, mais qui n’absorbent pas totalement les gestes et les sons instrumentaux, ce qui a conduit le compositeur à qualifier ce mode de composition d’acousmatique instrumentale.

Il a régulièrement collaboré avec le monde du théâtre, du cinéma ou de la danse, par exemple avec des créateurs comme Jacques Renoir, Josette Baïz, Jean Marc Matos, Bernard Menaut, Bernard Glandier, Julyen Hamilton, Georges Appaix…
Assistant de Jean Etienne Marie de 1984 à 1987, il crée au Centre International de Recherche Musicale, le Studio Instrumental, afin de développer de nouvelles relations entre le geste du musicien et le son qu’il joue, fusionnant les potentiels des instruments acoustiques aux plus récentes lutheries électroniques.
Avec les claviers électroniques, il s’est attaché à développer un nouveau type d’expressivité qu’on pourrait qualifier d’à l’intérieur même du son, comme quelques autres musiciens parmi lesquels on pourrait citer Gyorgy Kurtag, Pascal Gobin, Xavier Garcia, Serge de Laubier…
Son jeu particulier au clavier l’a également amené à travailler dans divers styles musicaux avec des musiciens pratiquant aussi bien les musiques écrites que l’improvisation tels Armand Angster, Barre Phillips, Raymond Boni, Michel Redolfi, Robert Ashley, Yves Robert, Fabien Tehericsen, Jean Paul Celea, Michel Doneda, Alex Grillo, Joelle Léandre, Jacques Di Donato, Henry Fourès…
Michel Pascal enseigne la composition électroacoustique au Conservatoire National de Région de Nice, il est également conseiller artistique pour Aix en Musique, structure avec laquelle il co-produit une manifestation de musiques électroniques « Microfolies ».

Comment pourriez vous décrire ce qu’est la musique contemporaine?

Il n’y a pas la musique contemporaine, mais des musiques contemporaines.
On pourrait avancer l’évidence que la musique est contemporaine quand elle est composée dans le temps d’où l’on parle, donc par des compositeurs vivants.
Ce qui sera bien entendu insuffisant.
On a coutume également de tracer une frontière entre musiques « savantes » et musiques « populaires », mais elle n’est souvent pas si claire à délimiter.
On parle aujourd’hui de musiques actuelles (amplifiées) pour regrouper les pratiques qui ne se réclament pas de la tradition de la musique occidentale « classique », ce qui est en général le cas des musiques savantes classées comme contemporaines (comme s’il y avait des musiques ignorantes!).
Attention cela n’a rien à voir avec la simplicité : certaines musiques savantes sont extrêmement simples et faciles à entendre, d’autres sont des réseaux presque impénétrables sans guide, mais cette double approche existe aussi pour certaines productions issues de cultures « populaires ».
Le jazz n’est il pas par exemple un domaine fort savant et parfois extrêmement complexe bien que prisé par un très grand nombre d’amateurs?

N’avez vous été attiré que par la musique contemporaine?

Non bien entendu, je suis touché par quantité d’autres musiques qui ont eu parfois une influence dans ma manière de composer d’autres pas.
Par exemple en plus du répertoire « classique », les musiques traditionnelles irlandaises, le flamenco, le jazz rock et quantité d’autres musiques ont compté pour moi…
Mais ce sont en général plutôt certaines œuvres particulières que des genres dans leur ensemble qui vont m’enthousiasmer.

Quel est ou sont vos instruments de musique préférés?

J’ai une très ancienne attirance pour le violoncelle, mais ma formation de compositeur me fait tomber régulièrement amoureux de tous les instruments pour lesquels j’ai la chance d’écrire.
Puis j’ai une formation de pianiste, c’est donc un extraordinaire ami.
Enfin je suis fasciné par la capacité de contrôle que nous offrent aujourd’hui les techniques électroacoustiques et l’ordinateur (qui n’est d’ailleurs pas en lui même un instrument).

Croyez vous que l’électronique peut supplanter l’instrument entres les mains d’un artiste?

Pourquoi serait ce le cas? l’orchestre symphonique a-t-il fait disparaître les instruments traditionnels? le piano « supplante »-t-il le clavecin? On ne peut pas établir de hiérarchie entre les outils d’expression, chacun permet à une sensibilité propre de s’épanouir différemment.
Voir l’électronique effacer le reste des pratiques serait franchement grave, un peu comme la disparition de la bio-diversité qui nous menace.

Que répondez vous à celles et ceux qui disent ne pas comprendre ou adhérer à la musique contemporaine?

Il est très rare de pouvoir entrer dans un domaine sans culture, et même lorsque cela arrive, c’est la plupart du temps sur des idées fausses qui mène immanquablement à une certaine forme de frustration.
Quelqu’un qui ne connaîtrait rien au rock and roll aurait sans doute la sensation que quel que soit le titre, on joue toujours plus ou moins la même chose, la même grille.
Si vous m’aimez pas la musique contemporaine en général, c’est que vous n’avez pas encore trouvé le bon angle pour entrer, peut-être un ami, un mentor…
Ecoutez encore, tâchez de comprendre ce qui vous arrête, comparez avec ce que les compositeurs et les amateurs disent de ces musiques et vérifiez que vous n’essayez pas d’écouter quelque chose qui n’y existe pas, au risque de ne pas en entendre les beautés spécifiques.

Faut il se laisser aller ou bien au contraire devons nous intellectualiser la musique contemporaine pour l’appréhender?

Il y a autant de moyens d’entrer, de découvrir le plaisir et la sensualité de ces musiques que d’individus.
Certains passent par l’intellect, d’autres sont emportés par les sensations. Le discours des spécialistes n’est bien sûr pas toujours la panacée quel que soit le genre.
Une fois le minimum de culture acquise pour pouvoir communiquer, l’émotion de l’auditeur reste un mystère.

Que pensez vous de l’idée que les sons font l’émotion?

Ce mot « les sons » est bien trop vague pour que je sois certain de bien comprendre votre question. On dit que la musique est « l’art des sons ».
Mais de quels sons? La musique classique n’utilise qu’une partie réduite des sons du monde, qui pour la plupart d’ailleurs sont « usinés », fabriqués par des artisans dans un cadre très restreint.
Au XXème siècle les compositeurs ont peu à peu étendu le domaine des sons valables pour composer, voire composé les sons eux-mêmes avec les techniques électroacoustiques.
Il y a aussi les sons et le son, certains utilisent le mot « son » comme quasi synonyme de « musique », d’autres se sont méfié de l’émotion comme d’un diable issue d’un époque révolue.
La musique n’est seulement constituée de sons et d’émotions.
Quand je compose j’attache de l’importance à ce que j’appelle l’effet de « signature » du son, trouver quelque chose qui comme avec les grand compositeurs fasse qu’on est instantanément capable de reconnaître l’auteur.
Pour certains ce sera le « son » d’enchaînements harmoniques, dans d’autres celui de morphologies, de dessins mélodiques, de structures, d’arrangements particuliers de spectres, d’éléments métaphoriques ou dramatiques, de virtuosité de conception… Il y a apparemment toujours du son partout, mais quel est-il?
Comment surgissent les émotions?
Veut-on seulement les faire surgir?
Ce qui surgit est-il en rapport avec l’idée que le créateur s’en faisait?
La musique traditionnelle irlandaise, quelle qu’elle soit (puisque j’en parlais plus haut) éveille toujours quelque chose en moi, une forme très particulière d’émotion qu’il m’est difficile de rattacher à un quelconque terme de langage.
Par quel rapport avec le son? aucune idée… une vie antérieure peut-être 😉

Est il nécessaire de comprendre la musique pour l’apprécier?

Dans une certaine mesure oui.
Comme je l’écrivais plus haut il est difficile d’apprécier une musique sans aucune idée de son terreau culturel. Mais cela ne veut pas dire qu’on doit être capable de l’analyser techniquement ou de savoir la faire pour l’apprécier.
Voyez à nouveau mon exemple irlandais.
Pour cette musique je suis un pur amateur, je ne la « comprends » donc pas, pourtant j’en connais suffisamment pour pouvoir l’apprécier, même si le substrat culturel grâce auquel je peux l’aimer n’est pas clairement identifié.
Je suis frappé que certains jeunes gens viennent me voir en m’affirmant qu’ils n’ont pas de culture. On ne peut pas vivre sans culture: ces personnes confondent le fait de ne pas être conscient de ses propres ressorts culturels avec celui d’un absence complète de culture.
Ils savent souvent quantité de choses sur les codes sociaux et les intérêts de leur âge que j’ignore totalement.
En revanche ils ignore souvent qu’ils le savent, ou dans quel flux ces codes culturels s’articulent.

Existe t il une musique plus complexe qu’une autre?

Si on pense à la complexité de conception, sans aucun doute. Une grande polyphonie du XVème siècle, un motet à texte multiples du XIVème, certaines pièces issues du sérialisme intégral, ou les méthodes de composition de musique stochastique sont particulièrement complexes.
Cela ne veut pas dire qu’elles soient si complexes à entendre.
Par exemple John Cage a réalisé des musiques construites entièrement à partir de tirages au hasard et qui sonnent quasiment à l’identique de celles qui sont construites de manière calculée.
Autre exemple, une construction à la Xenakis utilisant les mathématiques pour gérer des distributions aléatoires de grandes quantités de hauteurs n’est pas nécessaire pour apprécier le résultat sonore tout à fait particulier par lequel on va percevoir un bloc de sons à une certaine vitesse, ou d’une certain densité, sans avoir besoin de comprendre comment il est construit.
Autre exemple, la technique d’improvisation de virtuoses de certaines traditions de l’Inde est fort savante et complexe, et bien peu d’auditeurs occidentaux sont en mesure de suivre le raffinement de leur jeux rythmiques et modaux, pourtant beaucoup apprécient le résultat.

Si oui, c’est quoi pour vous la complexité dans la musique?

C’est une question qui a suscité travaux et débats récemment lors d’une rencontre de musicologues, de musiciens et d’amateurs au Centre de Documentation de la Musique Contemporaine à Paris.
Question fort débattue donc, je vous renvoie aux travaux de ces spécialistes.

Êtes vous attentif à la qualité de vos enregistrements?

Particulièrement attentif. C’est un fondement de ma formation française en musique électroacoustique.

Je parlais de la qualité du avant, pendant et après mastering, pouvez vous développer cet aspect?

Si si c’était très clair, mais je fais la même réponse, cette attention à la qualité audio est intrinsèquement liée au fait de composer avec les sons dans la tradition de musique électroacoustique française.
Cependant, nous ne travaillons pas dans l’industrie du disque, et ne faisons pas de vente de CD en grand nombre, ce qui implique de rechercher d’abord les meilleurs rapports qualité prix pour le pressage.
C’est la phase de production qui m’échappe le plus.
Au niveau de la composition, de l’enregistrement, du mastering… en revanche nous utilisons couramment du matériel de haut niveau.
Donc oui, je suis toutes les étapes avec plus ou moins d’acuité.
Pour Puzzle qui était un projet compliqué, il y a eu plusieurs studios d’enregistrements publics et privés, dont ceux de Radio France et de l’Ina-GRM et de Steve Shehan, plus des prises au Musée d’Art Moderne de Paris et chez certains musiciens avec du matériel de qualité de reportage.Le mastering a été fait également à Radio France, par Diego Losa, qui est crédité sur la pochette.
Le mixage a été réalisé en partie au CIRM à Nice, en partie au GRM à Paris : consoles Studer, Mackie, Neve, Saje, micros Neumann, Schoeps, AKG, DPA pour autant que je me rappelle.
Les stations numériques de travail étaient Dyaxis, Sonic Solution, Digidesign, les logiciels de montage et mixage, ProTools et Digital Performer, que j’utilise la plupart du temps.
Il y a également eu des prises sur DAT Sony. Le monitoring était sur Genelec, Urei, et JBL, pour le mastering, je ne me souviens pas de la petite écoute…
En tout cas à l’époque on travaillait en 16 bits (48kHz) , il n’y avait pas de meilleure résolution.

Quel est votre album perso préféré?

Impossible d’en tirer un seul tant il y a de chefs d’œuvres musicaux. Si votre question ne concernait que ma propre production, je répondrai un peu banalement comme la plupart des artistes que le projet sur lequel je travaille a tendance à être celui qui me plaît le plus pour un temps.

Et pour quelle raison?

Doit il y avoir une raison?

Avez vous des références de musiciens à recommander?

Il y en a tant, j’aurais peur d’en oublier.

Avez vous des disques de référence à recommander?

les miens? (rire ;-))

Savez vous ce qu’est la Haute-Fidélité?

Pas vraiment.
Je la définirais comme le domaine de la technologie électro-acoustique cherchant la meilleure qualité possible pour l’écoute domestique de musique, car pour moi elle se différencie du matériel que nous utilisons professionnellement, et qui est orienté vers la représentation publique, le concert, en salle ou en plein air, donc avec des contraintes différentes.
Ce qui fait que je connais fort mal l’équipement hifi.

Si oui, avez vous déjà vécu une belle expérience de reproduction musicale sur un bon système hi-fi?

Certainement, mais je ne possède pas un tel système chez moi. J’ai pu écouter depuis des années chez certains amis, ou dans des auditoriums d’excellents résultats, bien que rarement excellents à valeur égale pour tous les types de musiques.

Si vous deviez conseiller un auditeur, par quoi devrait il commencer s’il veut apprécier la musique contemporaine?

Aller en écouter, et demander à ceux qui semblent heureux à la fin des concerts ce qui leur a plu, comment, pourquoi… discuter avec eux, et continuer à écouter tant qu’ils n’ont pas trouvé une œuvre ou un compositeur qui leur plaît. Je suis entré ainsi dans la musique « savante » de notre temps, parce qu’un de mes profs à la fac semblait tant apprécier les choses bizarres qu’il nous faisait écouter.
Je me souviens d’un quatuor à cordes duquel je décrochais au bout de 20 secondes et qu’il nous présentait comme un chef d’œuvre sans que je comprenne pourquoi.
Comme je voulais être compositeur, j’ai écouté systématiquement tous les programmes de musique contemporaine pendant deux ans (à l’époque il y en avait plus sur France Musique et Culture), puis je suis tombé à nouveau par hasard sur ce fameux quatuor à cordes, et là, miracle, c’était bien un chef d’œuvre! Je ne comprenais pas pourquoi je n’avais pas été capable de l’entendre comme tel deux ans plus tôt, pourquoi j’avais alors tant de mal… J’ai donc continué à écouter, et à chercher à comprendre dans cet autre sens.

Avez vous des projets?

Est-il possible de n’avoir pas de projet?
Plusieurs à la fois en ce qui me concerne.
Mon ensemble « Studio Instrumental » vient de sortir « Beyond » un CD édité par le GMVL de Lyon avec le clarinettiste Claude Crousier.
Je viens de finir la musique d’un documentaire de Luc Henri Fage pour Thalassa, « le Mystère de la Baleine », j’ai toujours en chantier une pièce pour piano, percussion et électronique pour le duo Ancuza Aprodu et Thierry Miroglio, ainsi que la composition de pièces pédagogiques pour la caisse claire, un quatuor d’anche et un petit chœur pas tout à fait achevés, les multiples concerts organisés avec ma classe de composition électroacoustique du conservatoire de Nice, ou ailleurs : Monastère de Saorge le 28 mars.
Merci Michel Pascal d’avoir pris du temps pour répondre à mes questions et surtout d’avoir démystifié la musique contemporaine, afin de la rendre accessible au plus grand nombre.

Contact avec l’auteurMichel Pascal auteur compositeur

Michel Pascal
Studio Instrumental
42 rue Sainte
13301 Marseille
+33 491 33 13 75.


Cet article a été rédigé par Marc PHILIP, rédacteur indépendant, tous droits réservés, copyright 2009, les textes et photos sont la propriété de l’auteur et du magazine.

Bonne journée et bonnes écoutes.